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Les ambitions d’un accord soumis à signature

Lutte contre la précarité, sécurisation des parcours professionnels, anticipation et adaptation des mutations économiques, réduction du contentieux juridique… La négociation sur la sécurisation de l’emploi a abouti à un accord soumis à signature aux multiples dimensions. Apercu des principales dispositions.
« Un texte ambitieux pour l’emploi et les parcours professionnels des salariés ». C’est en ces termes que la délégation CFDT a salué le texte d’accord auquel a abouti la négociation sur la sécurisation de l’emploi et sur lequel le Bureau national devait se prononcer, les 16 et 17 janvier, en vue d’une éventuelle signature. Son intitulé, « Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés », est révélateur des ambitions d’un texte qui porte sur des pans entiers du marché du travail français.
Trois mois d’âpres discussions
Y parvenir n’aura pas été chose facile. Au terme de trois mois d’âpres discussions, il aura fallu, jusque dans la dernière ligne droite, « arracher pas à pas, article par article » des concessions au patronat, resté droit dans ses bottes de la flexibilité.
« L’extérieur (ndlr : les organismes internationaux et les agences de notation) le dit : la France a le marché du travail le plus rigide », a insisté à plusieurs reprises le négociateur patronal, Patrick Bernasconi, brandissant la menace d’une situation à l’espagnole si le marché du travail français n’était pas réformé. Avant d’expliciter : « Il n’y aura pas d’accord sans mesures pour faire en sorte que le CDI soit mieux perçu par les entrepreneurs », entendant notamment par là les mesures encadrant le « risque juridique » lié à la rupture du contrat de travail, « et sans souplesses supplémentaires pour les entreprises ».
Côté CFDT, les objectifs avaient été fixés d’entrée de jeu par son secrétaire général Laurent Berger : « la réduction de la précarité, l’anticipation des mutations économiques avec les IRP et la mise en place de mesures favorisant l’évolution professionnelle des salariés ». Avec une ligne stratégique : « Agir sur le comportement des entreprises pour les inciter à jouer le jeu du dialogue social et de l’emploi de qualité », résume le chef de file de la délégation CFDT, Patrick Pierron.
« Objectifs atteints »
« Objectifs atteints » sur les quatre « points incontournables » de la CFDT, a déclaré ce dernier à l’issue d’une ultime séance de négociation qui a joué les prolongations, le 11 janvier : la généralisation d’une complémentaire santé pour tous les salariés au plus tard le 1er janvier 2016 ; la création de droits rechargeables à l’assurance-chômage, dont le principe est acté et les modalités restent à définir dans le cadre de la négociation de la nouvelle convention d’assurance-chômage, d’ici le 31 décembre 2013 ; l’amélioration de la situation des salariés en temps partiel subi, avec l’institution, au 31 décembre 2013, d’un socle minimal de 24 heures – auquel il peut être dérogé sous conditions – et la majoration des heures complémentaires dès la première heure ; le renchérissement des contrats courts et en particulier très courts, avec un mécanisme de majoration des cotisations employeur à l’assurance-chômage (de 4% à 7% pour les CDD de moins d’un mois, à 5,5% pour les CDD de un à trois mois et à 4,5% pour les CDD d’usage). En contrepartie, les entreprises embauchant un jeune de moins de 26 ans en CDI seront exonérées de cotisation d’assurance-chômage pour une durée de trois mois (quatre pour les entreprises de moins de 50 salariés), si le CDI va au-delà de la période d’essai.
Droits individuels et collectifs
« Nous avons obtenu d’autres avancées en matière de lutte contre la précarité et de nouveaux droits », souligne le négociateur Patrick Pierron : « la création d’un compte personnel de formation mobilisable tout au long de la vie, l’amélioration de la portabilité de la couverture santé-prévoyance pour les demandeurs d’emploi, l’élargissement des possibilités de formation pour les jeunes en CDD, la création d’une prime pour les demandeurs d’emploi en Contrat de sécurisation professionnelle » dont les droits à l’assurance chômage ne leur permettraient pas d’aller au bout de leur formation, la création d’un conseil en évolution professionnelle.
À côté de ces nouveaux droits individuels, de nouveaux droits collectifs émergent qui concernent les représentants du personnel. À commencer par la présence d’un ou deux administrateurs salariés avec voix délibérative dans les organes de décision des deux à trois-cents entreprises de plus de 5000 salariés en France ou plus de 10 000 dans le monde.
Même si le sujet est moins perceptible par le plus grand nombre, l’article sur l’information et la consultation anticipée des IRP (instances représentatives du personnel) constitue un point fondamental, « la clé de voûte de la sécurisation des parcours professionnels » pour la CFDT : il s’agit de permettre aux représentants du personnel de « lire » la stratégie de l’entreprise de manière prospective (à trois ans), de façon à pouvoir anticiper les décisions avant qu’il ne soit trop tard, à l’aide d’une base de données contenant l’ensemble des informations économiques et sociales (investissement social, matériel et immatériel ; rémunérations des salariés, dirigeants et actionnaires ; aides publiques ; sous-traitance ; flux commerciaux et financiers intra-groupe). « Il faut qu’on arrête de jouer les pompiers et que l’on soit beaucoup plus associé aux décisions en amont », a résumé le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Pour aider les représentants du personnel dans cette tâche, ils pourront être accompagnés par un expert, mais devront financer 20% du coût sur leur budget de fonctionnement – le patronat voulait initialement faire reposer l’intégralité du coût de ce droit à l’expertise sur le « 0,2% » du comité d’entreprise.
Des outils pour sauver l’emploi
Anticiper pour ne pas subir, c’est dans cette même logique que la CFDT inscrit les dispositifs de l’accord visant à « maintenir l’emploi » plutôt que d’aller au licenciement. La simplification et l’unification des dispositifs de chômage partiel, dans le cadre d’une très prochaine négociation tripartite, doit permettre aux entreprises de surmonter une baisse passagère de leur carnet de commandes. Les accords de maintien dans l’emploi, dûment encadrés (accord temporaire et majoritaire à 50%, clause de retour à meilleure fortune, accord explicite du salarié), doivent constituer un outil supplémentaire pour permettre aux entreprises de franchir un cap difficile sans passer par la case licenciement.
Une réforme profonde des plans de sauvegarde de l’emploi est par ailleurs induite par le projet d’accord. Désormais, la procédure de licenciement collectif (au-delà de 9 salariés) dans les entreprises de plus de 50 sera définie et validée soit par homologation auprès de l’administration, soit par accord collectif majoritaire. La mesure s’inspire des accords de méthode existant et vise à troquer la logique actuelle de guerre des procédures contre une logique de négociation et d’engagement réciproque. Une manière, pour les entreprises, d’obtenir davantage de sécurité juridique, le délai de contestation étant raccourci, et de donner potentiellement aux IRP une plus grande latitude sur le contenu du PSE et en particulier des mesures d’accompagnement.
Davantage de négociation
Le projet d’accord favorise également la mobilité. Il instaure un droit à une « période de mobilité volontaire sécurisée » qui permet à un salarié de tester un emploi dans une autre entreprise tout en conservant la possibilité de revenir à son entreprise d’origine. Parallèlement, il permet à des entreprises de changer leurs salariés de poste et de lieu de travail sans passer par une procédure de restructuration, par le biais d’une mobilité interne négociée. Cette négociation se déroule dans le cadre de la négociation sur la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), dont la CFDT revendiquait et a obtenu qu’elle soit également élargie aux grandes orientations du plan de formation, aux « perspectives d’utilisation des différentes formes de contrats de travail », dont les contrats de génération.
Négociation oblige, la CFDT a évidemment dû faire des concessions par rapport à son mandat initial, alors que le patronat s’est montré intraitable sur sa demande de mesures visant à « déjudiciariser » les relations de travail afin de « diminuer la peur d’embaucher ». Avec les autres organisations syndicales parties prenantes à la négociation, elle est parvenue à atténuer la réduction des délais de prescription des actions en justice : actuellement de 5 ans, le patronat voulait les porter à douze mois ; le délai d’action est porté à 24 mois, celui de prescription à 36 mois. Le barème indicatif en cas de conciliation prud’homale sur la contestation d’un licenciement a été relevé. La demande du Medef de faire prévaloir le fond sur la forme a été renvoyée à une expertise ultérieure. Enfin, point dur de la CGPME, la mise en place de CDI intermittent, qui alternent périodes travaillées et non travaillées, dans les entreprises de moins de 50 ne sera qu’expérimentale et limitée à trois secteurs d’activité.
Le potentiel accord sera-t-il aussi « historique » qu’annoncé ? « Je laisse aux historiens le soin de juger ce qui est historique, tranche Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT. Ce qui importe à la CFDT, c’est que des nouveaux droits soient créés et appliqués pour les salariés. »